Une maison d'artiste
Victor Hugo, décorateur
« Mon mari est très content et complètement plongé dans sa maison. Ce sera un poème que ce logis. Mon mari grave des inscriptions, met son âme sur les murs de sa maison, il prend le rabot lui-même et lui donne sa sueur. Enfin ce sera un monument élevé par le grand exilé ».
Victor Hugo a toujours été passionné par les décors. Avant l’exil, ses appartements parisiens furent toujours décorés avec soin, par lui-même, selon le goût romantique. L’auteur de théâtre qu’il a été, s’intéressait aussi aux décors de ses pièces. D'autant que la « décoration », pour Victor Hugo, n’est pas affaire de joliesse mais la traduction d’une personnalité, d’un esprit, d’une pensée artistique.
Dès l’acquisition de Hauteville House en 1856, Victor Hugo entreprend des aménagements et s’engage dans le grand œuvre de sa décoration avec un chantier qui durera au moins jusqu’en 1859 et qui sera suivi par la création du look-out, pièce vitrée, sur le toit qui devient son cabinet de travail. Immédiatement la maison achevée, on en fait prendre des photographies et l’on a conscience qu’il s’agit d’une véritable œuvre d’art. Le fils aîné du poète, Charles, projette un livre consacré à la demeure, qui paraîtra en 1864, sous le titre Chez Victor Hugo par un passant.
Cependant, Victor Hugo, s’il avait conscience de faire œuvre, ne s’est jamais exprimé sur sa conception du décor. Son invention du décor relève pourtant d’une logique qui lui est propre. Hugo ne laisse aucun espace vide. Dans chaque pièce, son intervention est globale et se porte à la fois sur les murs, le plafond et le sol. Il opère par des mélanges de matériaux qu’il aime faire contraster : le bois lisse et froid avec les textiles veloutés et chaleureux ; les carreaux de faïence lumineux et le bois sombre ; les motifs naturalistes et les motifs stylisés des textiles, leur aspect soyeux ou duveteux. Le poète aime détourner les objets, soit dans leur positionnement – papier-peint panoramique posée sur le haut des murs et au plafond ; assiettes et tapisseries posées au plafond – ou leur usage – dossiers de chaises utilisés en lambrequins au-dessus des fenêtres, etc. Cette maison est une maison d’exil, un foyer qu’il faut refonder. Aussi, Hugo donne-t-il une importance monumentale aux cheminées qu’il construit, que ce soit en bois dans le salon de tapisserie, en carreaux de faïence dans la salle à manger ou à grand renfort de sculptures en bois doré et de soieries dans les salon rouge et bleu. Cette maison est une maison d’exil qui doit garder la mémoire de ce que l’on a quitté. Par le réemploi des objets apportés de Paris, qui ont survécu à la vente du mobilier familial en 1852, la mémoire devient un véritable matériau décoratif, que ce soit avec le cadre à sujets de Notre-Dame de Paris d’Antoine Rivoulon dans le vestibule, avec le service de Sèvres offert par Charles X, avec les citations gravées de ses œuvres, etc. Une pièce en particulier fait lien avec la vie d’avant. Il s’agit de la salle de Billard où sont regroupés les portraits de famille et les dessins de Victor Hugo auxquels il donne des cadres peints par lui et dont il constitue la série des « Souvenirs ». La maison ne reste pas repliée sur elle-même et sur un passé perdu, elle s’ouvre sur la vie et le monde par les serres et verrières qu’y ajoute Hugo, dont son célèbre look-out qui devient, à partir de 1862, son lieu d’écriture.
Ainsi, Victor Hugo a mis en œuvre comme décorateur un style véritable qui lui est propre qui cache une symbolique qu’il appartient au visiteur de découvrir.