Une maison écritoire

Ce que Victor Hugo a écrit à Hauteville House

« « J'ai pris l'encrier neuf de cristal acheté à Paris, j'ai débouché une bouteille d'encre toute neuve, et j'ai rempli l'encrier neuf, j'ai pris une rame de papier de fil acheté exprès pour ce livre, j'ai pris une bonne vieille plume et je me suis mis à écrire la première page ».
Victor Hugo  ».

Victor Hugo
Agenda, 21 novembre 1872

Hauteville House est une maison écritoire qui a vu naître de nombreux chefs-d’œuvre de Victor Hugo. Mais le lieu d’écriture de Victor Hugo a souvent varié. À l’origine, il destinait la galerie de chêne – qu’il appelait « mon appartement » – à être à la fois sa chambre et son cabinet de travail. Pourtant, il ne l’utilisa, préférant s’installer sous les combles qui seront son étage réservé. Il écrit d’abord dans la pièce mansardée au centre du toit, voire dans sa chambre. À partir de 1862, le look-out qu’il vient de faire construire sur le toit dans le prolongement de son premier cabinet, devient son bureau en plein ciel, face à la mer.



Pour s’imprégner de l’esprit du lieu, il n’est pas inutile de rappeler ici, toutes les œuvres qui furent écrites à Hauteville House.



Durant tout le temps qu’y passera Victor Hugo, il y écrira de nombreuses proclamations politiques qui seront éditées, à la suite de celles écrites à jersey dans Actes et paroles, « Pendant l’exil ».



Les poèmes de Victor Hugo naissent au fil des jours. Même si le poète a une idée directrice du recueil, il le compose en puisant parfois dans ses dossiers, en exhumant des poèmes anciens. Ainsi les recueils regroupent-ils des poèmes écrits à différentes époques et en différents lieux. De ce fait, nombre de poèmes écrits à Hauteville House ne seront publiés que dans les recueils posthumes Les Quatre vents de l’esprit (1881), Toute la lyre (1888,1889 et 1897) et Dernière gerbe (1902), tandis que certains restés à l’état de fragment le seront dans Océan. Toutefois, l’œuvre principale à laquelle s’attelle Victor Hugo alors qu’il emménage à Hauteville House, est La Légende des siècles dont la première série paraît en 1859. Mais autour de La Légende des siècles gravite tout un ensemble de poèmes philosophiques et religieux comme L’Âne (publié en 1880), La Pitié suprême (1879) ou qui resteront inachevés et publiés à titre posthume comme La Fin de Satan (1886) ou Dieu (1891) que complètera Religions et religion (écrit en 1868,1870 et 1872 puis publié en 1880). Cependant, dans une tout autre tonalité, Les Chansons des rues et des bois, dont la majeure partie des poèmes est écrite à Hauteville House à partir de 1859, paraît en 1865.



Alors que Victor Hugo n’a pas publié de roman depuis Claude Gueux, en 1834, il renoue avec ce genre en ressortant de sa malle, le 28 avril 1860, le manuscrit des Misères, écrit entre 1845 et 1848. Dans le premier cabinet de travail (que l’on désigne aujourd’hui sous le nom d’antichambre du look-out), la relecture, la méditation et l’écriture de ce qui devient Les Misérables vont occuper Hugo jusqu’à la parution du roman en 1862. Dans le look-out qu’il a fait construire, sur les deux tablettes amovibles où il peut écrire debout, l’une face à St-Sampson, l’autre face à la mer et aux îles, comme s’il regardait le décor de sa nouvelle œuvre, Hugo commence en 1864 à écrire Les Travailleurs de la mer, publié en 1866. Immédiatement après, Hugo s’attelle à L’Homme qui rit qui sera le dernier roman publié durant l’exil, en 1869.



La rédaction de L’Homme qui rit est interrompue deux fois de février à avril 1866 pour l’écriture d’une pièce de théâtre Mille francs de récompense, puis en 1867 pour une deuxième Mangeront-ils ?. En mai et juin 1869, alors que la chaleur le chasse du look-out et le contraint à écrire dans le jardin, sous l’ombre des figuiers, c’est au tour de Torquemada. Ce retour de Victor Hugo à l’art dramatique restera inédit à l’exception de Torquemada qui est publié en 1882 mais ne sera pas joué sur la scène comme toutes les autres pièces du Théâtre en liberté qui n’auront qu’une existence posthume.



Victor Hugo n’est pas seul à écrire à Guernesey. Sa fille Adèle y tient encore, jusqu’à sa fugue en 1863, le Journal de l’exil commencé à Jersey. Mme Hugo y travaille à son Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie, publié en 1863. Charles y achève Le Cochon de Saint Antoine publié en 1858, y écrit La Chaise de Paille et La Bohême dorée publiés en 1859, Une Famille tragique en 1860. François-Victor, de son côté y travaille à sa monumentale traduction des Œuvres complètes de William Shakespeare, commencée à Jersey, jusqu’à ce que le chagrin, à la mort de sa fiancée Emily de Putron ne lui fasse quitter l’île en 1865. C’est à l’origine pour servir de préface à cette traduction que Victor Hugo écrit un texte qui ne cessera de prendre de l’ampleur pour devenir un ouvrage indépendant : William Shakespeare, qui paraît en 1864. Un seul autre essai sera publié durant cette période: la préface de Paris-Guide pour l’Exposition Universelle de 1867.



Après l’exil, pris dans le tourbillon des occupations politiques et mondaines auxquelles l’oblige sa célébrité, Victor Hugo aura besoin de retrouver le calme de Guernesey pour écrire son dernier roman, qu’il porte en lui depuis longtemps, Quatrevingt-treize. C’est lors du séjour qu’il fait à Hauteville House, du 10 août 1872 au 30 juillet 1873, que Victor Hugo écrit ce livre.

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